Écrit par David J. B.Trim, Ph.D., directeur du bureau des archives, des statistiques et de la recherche à la Conférence générale (GC).
Beaucoup d’adventistes du septième jour considèrent les événements actuels comme exceptionnels. Les dirigeants et les membres des Églises ne cessent de répéter que cette situation est inédite, sans précédent. Ironiquement, malgré l’injonction souvent invoquée d’Ellen White selon laquelle les adventistes du septième jour « n’ont rien à craindre pour l’avenir, si ce n’est d’oublier le passé », dans la pratique, notre mémoire semble courte.
Pourtant, il y a peu de situations qui soient réellement uniques. C’est le cas de la décision prise au début de l’année 2020 de reporter la soixante et unième (61e) session de la Conférence générale, initialement prévue en juin 2020, à mai 2021. Il n’y a pas seulement un précédent, mais plusieurs. C’est la cinquième fois qu’une session de la Conférence générale est reportée, ce qui prolonge nécessairement le mandat de ses administrateurs ainsi que celui des administrateurs de ses divisions, et reporte inévitablement l’action de l’Église mondiale sur des questions importantes d’intérêt commun. C’est la deuxième fois que plus de cinq ans s’écoulent entre deux sessions.
La Première Guerre Mondiale
Il a fallu plus d’un demi-siècle et 38 sessions avant de connaître le premier report d’une session de la Conférence générale. À l’origine, les sessions étaient annuelles ; après la vingt-huitième (28e) session en 1889, elles sont devenues biennales, puis, après la trente-sixième (36e) session en 1905, quadriennales. En 1913, la trente-huitième (38e) session à Takoma Park s’est terminée avec l’espoir de se réunir en 1917. Mais un an plus tard, ce fut le début de la première guerre mondiale.
Au printemps 1916, les responsables de la Division nord-américaine (la NAD, dont le territoire abritait, à cette époque, 56 % de l’effectif mondial des membres de l’Église) exprimaient leur inquiétude en ces termes : « …les conditions mondiales sont telles qu’à l’heure actuelle, nous ignorons ce qu’un jour peut nous réserver » ; il était incertain que des délégués « de pays extérieurs à la Division nord-américaine » puisse s’y rendre.
Le Comité de la NAD avait voté de demander à la Conférence générale d’envisager « dans la prière » la tenue de la trente-neuvième (39e) session au début de 1918 plutôt qu’en 1917[1]. La GC a interrogé les administrateurs du monde entier par courrier et « a constaté que le vote par lettre, en faveur du report, était unanime». C’est peut-être le premier exemple de ce qui serait aujourd’hui un vote par courrier électronique !
Le résultat sérieusement analysé, le Comité de la GC a pris une mesure « pour surseoir à la quadriennale de l’été 1917 la date la plus proche possible ». Avril 1917 a été la date finalement retenue[2]. La trente-neuvième (39e) session s’est dûment réunie en mars-avril 1918.
Il est à noter qu’aucune disposition dans la Constitution de la GC, telle qu’elle existait à l’époque, ne prévoyait le report d’une session. Mais l’Église a été confrontée à des circonstances véritablement inédites, notamment la guerre sous-marine qui a rendu la traversée de l’Atlantique en 1917 totalement dangereuse. Reconnaissant la nature exceptionnelle des défis auxquels ils étaient confrontés, les responsables de l’Église, après de sages consultations, ont dû prendre les meilleures décisions que les circonstances leur permettaient, décisions que les générations passées de leaders de l’Église n’avaient jamais imaginé.
Ironiquement, la Première Guerre mondiale faisait toujours rage et la situation générale de la guerre ne s’était pas beaucoup améliorée au printemps 1918. Cependant, à ce moment-là, les efforts navals des Alliés avaient rendu les voyages vers les États-Unis plus sûrs. Les administrateurs ne voulaient probablement pas non plus reporter deux fois. La trente-neuvième (39e) session eut donc lieu au printemps 1918.
La Crise économique
La quarante-deuxième (42e) session de la Conférence générale a eu lieu en mai 1930, un peu plus de six mois après le collapsus de Wall Street déclenchant ainsi la grande Crise économique. Cependant, on ne savait pas encore à quel point les choses allaient mal tourner. La Grande-Bretagne et l’Amérique du Nord avaient connu de terribles ralentissements économiques à la fin du XIXe siècle, mais à cette époque, les grandes économies nationales étaient assez autonomes, tandis que l’Église adventiste du septième jour n’était pas encore devenue mondiale. Dans les années 1930, la nature interdépendante de l’économie mondiale a aggravé les effets de la crise et a perturbé toutes les parties de l’Église adventiste.
Au cours des trois années qui ont suivi la catastrophe de Wall Street, les montants de la dîme ont chuté de 37 % aux États-Unis et les offres de missions de 42 % (même si le nombre de membres avait augmenté de 23 %). Le trésorier de la Conférence générale, J. L. Shaw, a dû trouver 200 000 dollars (l’équivalant de pas moins 4 millions aujourd’hui) pour couvrir les dépenses d’une session, alors même que lui et le président C. H. Watson essayaient désespérément de maintenir les missionnaires étrangers en place en réduisant la main-d’œuvre de la NAD, et en diminuant les salaires des autres[3]. Le report de la session a donné à la GC deux ans de plus pour économiser l’argent nécessaire à son budget et aux divisions deux ans de plus pour trouver l’argent nécessaire pour assurer le déplacement des délégués. Pourtant, lorsque, lors du Comité d’automne 1932, Watson a évoqué la possibilité d’un report, il a d’abord convoqué une session exécutive réunissant uniquement les présidents des divisions et les membres du personnel du Comité exécutif du siège de la GC pour présenter son cas – clairement, il s’attendait à ce que cela soit controversé[4].
Les membres de la commission ont cependant apprécié la logique, notamment parce qu’ils ont reconnu « l’impossibilité pour la Division européenne et les autres divisions de mandater des délégations représentatives si la Session avait lieu en 1934 », et que la seule façon de faire face aux frais d’une session à ce moment-là serait d’effectuer « des réductions supplémentaires des dépenses ordinaires ». Le Conseil d’Administration (CA) a voté : « Que la prochaine session de la Conférence générale soit reportée à 1936[5] ». Mais la Constitution prescrivait un mandat de quatre ans, de sorte que le mandat de nombreux « membres du personnel de la Conférence générale » expirait avant 1936. Le Comité exécutif a donc voté pour que ce personnel soit « prié de continuer à exercer ses fonctions sans interruption » jusqu’à la session reportée[6].
C’est pourquoi, et c’est unique, un mandat de six ans a été accordé aux responsables de la GC et des divisions ainsi qu’aux directeurs de département après la quarante-deuxième (42e) session. Jusqu’à cette année, c’est la seule fois où l’intervalle entre les sessions a été supérieur à cinq ans.
En différant la session de 1934, cette fois-ci à deux ans, les administrateurs de l’Église avaient à nouveau innové, et avaient même pris ce que certains auraient pu considérer comme une mesure radicale. De plus, s’ils avaient adopté la seule ligne de conduite raisonnable, ils l’avaient fait, une fois de plus, sans mandat constitutionnel pour leur décision. Lorsque la quarante-troisième (43e) session se tient finalement en mai et juin 1936, elle modifie l’article VIII de la Constitution de la GC pour permettre au Comité exécutif de renvoyer une session jusqu’à deux ans, « lorsque des conditions mondiales particulières semblent … rendre impératif le changement de la convocation de la session ».
Cette disposition de report de deux ans est restée dans la Constitution depuis ce jour-là. Et elle sera très bientôt mise en application. Car, même si personne ne pouvait le deviner, les deux sessions suivantes seront toutes deux reportées selon les nouveaux termes de l’article VIII.
La Seconde Guerre mondiale
Les dirigeants de l’Église avaient la ferme intention de tenir la quarante-quatrième (43e) session de la Conférence générale quatre ans après la quarante-troisième session repoussée, à la fin du printemps ou au début de l’été 1940. Mais en septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclatait. Le mois suivant, lors du Comité de la GC d’automne, les responsables posèrent « la question … de savoir s’il serait opportun ou non de poursuivre les plans pour la tenue de la session [de la Conférence générale] en 1940, compte tenu de l’incertitude… » du moment. Comme par le passé, on s’est également demandé si « une session de la conférence représentative » pouvait être organisée, compte tenu des difficultés de déplacement des délégations des divisions d’outre-mer. Le compte-rendu de la réunion précise : « La question a été longuement débattue, un certain nombre de personnes étant favorables à un ajournement, tandis que d’autres estimaient qu’il serait bon de maintenir la session comme prévu ». Compte tenu du désaccord, une sous-commission a été nommée. Mais elle a recommandé, « en raison de la prévalence de la guerre [et] de notre incapacité à avoir une délégation représentative de nos divisions d’outre-mer », que la « session soit reportée d’un an ». Cette recommandation a ensuite été approuvée[7].
Douze mois plus tard, la guerre continuait, et la possibilité d’un « nouveau report » était envisagée. Après les travaux d’un comité restreint, le Comité exécutif décida toutefois, sans autre explication, de poursuivre ses travaux en mai-juin 1941[8]. À ce moment-là, les États-Unis étaient encore neutres – ils abritaient également un membre sur trois du demi-million de l’effectif mondial et auraient fourni la majorité des délégués à la session. Il était sans doute préférable de continuer à avancer, après cinq ans, avec tous ceux qui pouvaient venir des différentes divisions étrangères, plutôt que de prolonger à nouveau jusqu’à six ans.
Après la session de 1941, l’intention était de revenir aux mandats quadriennaux prévus par la Constitution entre les sessions. En 1943, les dates de la quarante-cinquième (45e) session furent fixées à mai-juin 1945[9]. À l’hiver 1945, cependant, l’inquiétude grandissait quant à l’opportunité de tenir un événement international majeur, car bien que la fin de la guerre fut clairement en vue, les hostilités continuaient, tout comme le contrôle des voyages, le rationnement et les restrictions gouvernementales sur les congrès aux États-Unis. Certains se demandaient comment l’Église serait perçue par le public si elle ne tenait pas compte des réalités du temps de guerre en plus des graves préoccupations pratiques.
Un conseil d’urgence a été convoqué en février « pour examiner la position à adopter sur les projets de tenue de … la session de mai ». Les discussions se sont prolongées. Alors que plusieurs membres du Comité de la GC « ont évoqué la déception qui s’en ressentirait si la session ne pouvait pas avoir lieu », un consensus a donné lieu à une nouvelle convocation, notamment parce que la représentation de « nos divisions d’outre-mer » serait (une fois de plus) très limitée. Au final, un vote unanime a conclu que « la session de la Conférence générale qui devait avoir lieu au mois de mai cette année-là soit reportée d’un an[10]. »
Le XXIe Siècle
Le report d’une session n’est donc pas un fait isolé ; au contraire, il existe une longue tradition de reprogrammation des séances de la GC et de prolongation du mandat des élus par les délégations. Comme nous l’avons vu dans ce bref historique, ajourner une réunion n’a jamais été prise à la légère et de manière inopportune, ni sans peine ni chagrin. Il n’en reste pas moins que seul le Comité exécutif est habilité à reporter une session et à prolonger des mandats qui sont désormais quinquennaux, plutôt que quadriennaux.
Une telle décision n’a pas été prise depuis soixante-quinze ans, période au cours de laquelle la taille et le coût d’une assemblée mondiale de la Conférence générale ont considérablement augmenté. La nouvelle échelle des réunions de la GC a rendu l’ajournement d’autant plus problématique, compte tenu de la complexité beaucoup plus grande qu’implique un rééchelonnement à brève échéance et des pertes financières potentiellement plus importantes.
Cependant, face à des circonstances aussi exceptionnelles – deux guerres mondiales et la Crise économique – les dirigeants de l’Église adventiste du septième jour n’ont pas hésité à se positionner dans l’intérêt de l’ensemble de la dénomination. Parmi les motifs invoqués figuraient des dépenses prohibitives à une époque où les ressources étaient limitées, la sécurité des délégués, l’image publique de l’Église et la capacité de représentation des divisions. L’ensemble de ces facteurs sont pris en compte dans la perspective de la soixante et unième session (61e).
La pandémie liée à la COVID-19 n’est absolument pas inédite, mais elle est tout à fait exceptionnelle. Pourtant, les défis qu’elle pose sont similaires à ceux qui ont poussé nos prédécesseurs à différer, à quatre reprises, les sessions de la Conférence générale. En outre, elle permet de mesurer l’échelle des sessions (la taille, les coûts et l’ampleur de la complexité).
Les dirigeants de l’Église d’aujourd’hui ont agi avec sagesse (au regard de la situation financière) et avec prudence (face au potentiel d’infection) pour l’année 2020. Ce fut également l’occasion d’examiner le déploiement de la dénomination pour « la mise en œuvre » des sessions. Cela n’a fait plaisir à personne de ne pas avoir de session à Indianapolis en juin 2020 ; au contraire, la consternation fut générale.
Mais l’Église a adopté la démarche la plus prudente et la plus responsable selon laquelle ses dirigeants actuels ont suivi les traces des dirigeants du passé, tout en gardant les yeux rivés vers l’avenir et notre « bienheureuse espérance. »
En repoussant la session de 2020, nous ne retardons en rien l’événement final que nous souhaitons ardemment : la seconde venue de Jésus-Christ notre Seigneur.
[1] Réunion du comité de la NAD, 15 mars 1916, procès-verbal (Archives GC, groupe d’archives NA 1), vol. I, p. 349
[2] Réunion du Comité de la Conférence générale, 9 mai 1916, dans « S.D.A. General Conference Committee Proceedings » (Archives GC, Record Group 1), vol. X, pt. ii, p. 419 ; Conseil de printemps, 16 avril 1917, ibid.,
- 585-86
[3] Comité de printemps, 27 avril 1932, Procédures, vol. XIV, pt. ii, p. 653
[4] Pour les statistiques financières, voir les rapports statistiques annuels pour 1929 et 1933 ; réunion du Comité de la GC, 18 octobre 1932, Procédures, vol. XIV, pt. iii, p. 749-50, 751 ; cf. W. G. Johnsson, » Weathering Financial Storms « , Adventist Review, 21 novembre 1921, p. 4
[5] Comité d’automne, 20 oct. 1932, Procédures, vol. XIV, pt. iii, p. 768
[6] Ibid, 26 octobre 1932, p. 809. Par la suite, les assemblées des Unions à la NAD ont également été reportées pour suivre la session du CA : Conseil d’automne, 18 oct. 1933, Procédures, vol. XIV, pt. iv, p. 1086
[7] Comité d’automne, 11 et 15 octobre 1939, Procédures, vol. XV, pt. vi, p. 1237, 1259
[8] Comité d’automne, 16 et 22 octobre 1940, vol. XV, pt. vi, p. 1617, 1620, 1648
[9] Comité d’automne, 28 oct. et 4 nov. 1943, Procédures, vol. XVI, pt. iv, p. 1103, 1144
[10] Comité spécial, séances du 20 février 1945, matin et après-midi, Actes, vol. XVI, pt. vi, p. 1754-55. Comme pour la quarante-troisième session reportée, la commission a également recommandé de reporter d’un an les sessions des fédérations et des conférences d’union en Amérique du Nord : Ibid, 21 février 1945, p. 1764