L’appartenance nationale en France : une expérience contrastée pour les musulmans et les catholiques

Carol Ferrara, anthropologue et professeure adjointe en communication marketing à l’Emerson College, explore les différences d’expérience entre citoyens français musulmans et catholiques face au sentiment d’appartenance nationale dans son nouvel ouvrage, Muslim and Catholic Experiences of National Belonging in France. Fruit de dix années de recherche, ce livre, publié dans la collection “Islam of the Global West” de Bloomsbury Academic, analyse les perceptions implicites de la “francité” et leur impact sur l’intégration. Dans une interview accordée à Emerson Today, Ferrara détaille ses travaux.

La “francité” : un concept inclusif et exclusif

Ferrara explique que la “francité”, ensemble de récits, d’images et de messages construisant l’image du Français “légitime”, tend à exclure les musulmans tandis que les catholiques y sont inclus par défaut. Le livre examine comment cette “francité” influence les expériences des citoyens, que ce soit dans l’engagement civique, la création d’institutions, ou l’intégration dans l’enseignement supérieur.

Genèse d’une recherche

L’intérêt de Ferrara pour ce sujet est né lors de ses études à l’American University of Paris, initialement centré sur l’enseignement religieux dans les écoles. Ses recherches doctorales et postdoctorales, notamment grâce à une bourse Fulbright, ont élargi son champ d’investigation à la comparaison des expériences catholiques et musulmanes.

Motivation personnelle

Ferrara, ayant grandi sans affiliation religieuse particulière, a été interpellée par le débat sur le port du voile en France. Le soutien à l’interdiction du voile dans les écoles publiques l’a amenée à s’interroger sur les limites de l’identité française et la perception de la différence comme une menace.

Objectifs de la recherche

Initialement, Ferrara s’intéressait à l’expérience des jeunes musulmans dans un contexte d’islamophobie et au rôle des écoles musulmanes privées. Elle a constaté les difficultés rencontrées par ces établissements pour obtenir reconnaissance et financement, malgré leurs efforts pour concilier identité musulmane et française. En parallèle, son travail auprès de communautés catholiques, y compris traditionalistes, a mis en lumière leur appartenance incontestée à la nation française, même en cas de rejet des principes républicains. L’ouvrage vise ainsi à déconstruire les idées préconçues sur l’exclusion des musulmans en France.

L’impact de la laïcité remis en question

Ferrara montre que la laïcité, souvent invoquée pour justifier l’exclusion des musulmans, n’explique pas l’inclusion paradoxale des catholiques, même ceux remettant en cause les fondements de la République. L’exclusion musulmane relève donc de facteurs plus complexes que la simple application de la laïcité.

Des expériences contrastées

L’ouvrage illustre les obstacles rencontrés par les musulmans, même dans des domaines a priori ouverts comme le dialogue interreligieux. Les imams, souvent bénévoles, sont davantage incités à participer à ces initiatives, sous peine d’être perçus comme hostiles à la République. De plus, le financement public des écoles musulmanes reste précaire, comme l’illustre le cas d’un établissement ayant perdu son financement malgré d’excellents résultats. Enfin, Ferrara compare les réactions face à des manifestations publiques de catholiques traditionalistes, tolérés malgré leur opposition à la République, avec l’intolérance envers d’éventuelles actions similaires de la part de musulmans.

Conclusion et perspectives

Ferrara plaide pour une narration plus inclusive de l’appartenance nationale, reflétant la diversité de la population. Elle appelle à une évolution des représentations dans l’éducation, les médias et la politique, afin de déconstruire les stéréotypes et promouvoir le respect mutuel. Elle souligne également l’importance de la responsabilité sociale dans la création d’espaces inclusifs, un thème qu’elle aborde dans ses cours à Emerson.