Beyrouth, Liban, 14 août 2020 | Kathie Lichtenwalter | Adventist Mission | Adventist World
J’ai à peine remarqué le premier bruit sourd et le premier frémissement.
Nous avions senti des brises toute l’après-midi qui faisaient claquer notre porte d’entrée au-dessus du campus de l’université du Moyen-Orient de l’Église adventiste du septième jour.
Mais le deuxième bruit sourd-frisson inhabituel, était sans équivoque. Dans un monde politiquement fragile comme le nôtre, je connais bien les options : des feux d’artifice ? Une mitrailleuse ? Une voiture piégée ? Un avion de chasse qui passe ? Bien que rien je n’aie jamais été impliqué personnellement, j’ai appris que chaque son a un sens (parfois tragique).
Il ne m’est pas venu à l’esprit de franchir la première marche devant notre porte pour m’en quérir sur ce qui se passait. De mon avant-poste vallonné, j’ai simplement regardé la ville tentaculaire de Beyrouth en contrebas, au-delà du port, et vers la mer Méditerranée. J’ai remarqué des nuages (en forme de champignon, semblait-il) se disperser à grande vitesse dans le ciel. Mais mon attention se fixait plus sur l’énorme tourbillon de fumée provenant de la zone portuaire. Ce n’était pas normal. Pas bon du tout.
Je suis allé plus loin sur le porche juste au moment où le choc d’une explosion massive m’enveloppait. Un mur de vent avec de la poussière et des débris m’a soulevé avec force et m’a renvoyé dans la maison. J’ai saisi la porte, mais je n’ai pas pu la fermer. La force semblait souffler directement à travers les murs. Les rideaux des fenêtres se tordaient follement autour de moi. Je parvenais à peine tenir debout.
Mes idées se bousculaient dans mon esprit pour déterminer ce qui se passait : Est-ce une bombe sur le campus ? Ou un accident d’avion ? Un tremblement de terre ? Que faire alors que l’on ne sait pas ce qui se passe ? J’avais l’impression de lutter pour exister.
Puis, soudain, le silence. En une fraction de seconde la forte tension retenant la porte s’est relâchée, j’ai, donc, pu claquer celle-ci de tout mon corps, comme dans un rêve quand vous êtes poursuivi par un ours. De la poussière de plâtre a obstrué la base du cadre de la porte.
Je voulais regarder par la fenêtre, mais je ne savais pas ce qui surviendrait à nouveau. J’aspirais être en sécurité, mais où en trouver ? J’ai donc arpenté le couloir, les mains tremblantes. J’ai recommencé à respirer. Tout était étrangement silencieux. Tout était normal. Retourné à mon ordinateur, j’ai cherché en vain les dernières nouvelles. Il m’était impossible de me rappeler ce sur quoi j’avais travaillé avant cette grande détonation. L’impact avait anéanti mon esprit. Le bruit des sirènes me rappelait que ce n’était pas un simple rêve.
Quelques minutes plus tard, mon mari a téléphoné du campus situé en bas de la colline. Oh, oui. Je vais bien. Il va bien. Du verre brisé partout sur le campus. Les plafonds entièrement abattus. Les étudiants sont effrayés. On s’est posé de stupides questions auxquelles aucune réponse ne peut être apportée. Quelques heures plus tard, il est rentré à la maison, ses oreilles sifflaient encore.
Les jours qui ont suivi, ont fait surgir de nombreuses questions. Aucune solution humaine ne peut intervenir face à ce que vit le Liban, et surtout pas à cela. Pourtant, une certitude nous habite. Nous revendiquerons ce pays pour Dieu en vue d’accomplir son œuvre et pour l’honneur de son nom.
Nous affirmons également la fidélité de Dieu pour faire le bien au sein-même du mal et de la destruction. Les habitants de la région qui ont subi des années de guerre vivent des vagues de terreur ; même sans blessures physiques, les blessures émotionnelles ont été destructrices et déchirantes. La seule assurance que nous pouvons donner est le réconfort de Dieu lorsque les souvenirs et les pertes sont accablants. La peur qui nous environne ne véhicule des ombres profondes devant nous. Alors nous évoquons la politique, la corruption, la chute de la monnaie (la lire), les comptes COVID-19, l’explosion et la douleur inconsolable en Sa présence. Le seul bien certain est que nous sommes poussés à nous rapprocher de Lui.
Quelques minutes après m’être assise devant mon ordinateur, Osman a appelé. Je lui avais donné une leçon de violon en ligne plus tôt dans l’après-midi. Nous avions terminé la leçon quelques instants avant l’explosion. Maintenant, il rappelait, les yeux effarés, le visage en sueur, son téléphone qui filmait pour me montrer la destruction du minuscule appartement de sa famille.
« Tout est cassé. Tout est cassé, Madame. »
Ce n’était pas nouveau pour lui. Les membres de sa famille était les bombardée d’Alep en Syrie six ans plus tôt. Pour lui, la tragédie du 4 août n’était pas l’appartement détruit. C’était le cycle familier des pertes.
C’est un cycle que je ne peux pas briser. Je ne parviens pas à endormir la douleur, récupérer les pertes, reconstruire un pays. Personne ne le peut. Mais nous ne sommes pas impuissants, nous ne sommes pas des victimes. Nous nous tenons en présence de Dieu, intercédant pour ce qui est au-delà de notre pouvoir de changer et Lui donnant la permission de défier le mal qui fléchit et qui fume.
Le bien peut en découler. Que le nom de Dieu soit honoré, sa puissance évidente pour réconforter et apporter l’espoir du meilleur que cela. Et que ce soit dans ma vie que le mieux se produise. Qu’il le réalise sur notre campus au Moyen-Orient, pour le cher Liban, et dans les « parties les plus extrêmes » de notre monde en difficulté.