Adresse du Pasteur François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France à Emmanuel Macron, Président de la République à l’occasion du Dîner organisé par le Cercle Charles Gide le 26 octobre 2021
Monsieur le Président de la République,
Cher Emmanuel,
Je souhaite tout d’abord vous dire notre vive reconnaissance d’avoir accepté l’invitation à ce repas et à cette soirée. C’est un honneur et une joie de vous compter parmi nous. Bienvenue, Monsieur le Président. Il n’est pas dans mes habitudes de m’adresser ainsi à vous, ni même devant une telle assemblée que je découvre pour une part, que je remercie d’être venue et que je salue. Comme vous le savez, ce rendez-vous a quelque chose d’inaugural et sans doute d’original, et je voudrais donc saluer et remercier aussi toutes celles et ceux qui l’ont imaginé, préparé, et qui l’ont rendu possible. Tous ceux qui ont pris une part à ce projet se reconnaitront dans ces salutations vraiment fraternelles, mais je pense en particulier à Guillaume Dard, Axel Dumas, Aude Millet et Guillaume de Seynes, avec qui les choses ont commencé de façon si ténue, il y a quelques temps déjà au point d’aboutir enfin aujourd’hui, et bien évidemment à Xavier Moreno qui aura largement pris sa part dans la réalisation concrète du projet avec détermination, sagesse et bienveillance.
Il n’était pas dans nos habitudes en effet de nous retrouver ainsi et peut-être avions nous tort de nous priver de telles rencontres et de telles occasions, de nous retrouver les uns et les autres, avec nos parcours professionnels si différents, nos préoccupations si diverses, nos engagements connus ou moins connus, nos convictions et nos sensibilités nourrissant les débats qui nous animent. Lors de nos premières rencontres, ceux qui étaient présents savent combien assumer cette double identité d’entrepreneurs et de protestants était un peu de l’ordre de l’utopie ou de l’impensable, discrétion et confidentialité protestantes obligent… Nous voici enfin dans une approche quasi holistique du protestantisme en présence de personnalités de tous ordres dont la pluralité de la Fédération protestante de France est bien la seule instance à pouvoir aider à en percevoir la belle diversité et la si grande qualité.
Ici, ce soir, des personnes protestantes ou proche du protestantisme, engagées principalement dans la vie économique, mais aussi sociale ou culturelle, présentes dans de multiples secteurs d’activité, des responsables financiers, des cadres, des enseignants, et des membres d’Eglises de professions diverses, d’œuvres et de Fondations, ont répondu présent et je les en remercie.
Je veux en votre nom à tous m’adresser à vous, Monsieur le Président de la République. Le terme est choisi, en effet, car il s’agit bien d’une adresse et non pas d’une interpellation dont le double sens serait bien inopportun, le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin que je salue aussi chaleureusement, ne me démentirait pas sur ce point. Il ne s’agit pas non plus d’un plaidoyer pro domo dont nous n’avons que faire ni même d’un catalogue de doléances qui déroulerait les mille préoccupations des protestants de ce pays ou encore d’une harangue. Il s’agit d’une adresse, c’est-à-dire exactement, comme ce mot l’indique, d’une parole dirigée dans la bonne direction, en l’occurrence la vôtre, et j’ai pour ce faire pris la précaution de vous avertir de l’essentiel du propos que je vais tenir à l’instant, non pas pour en dévoiler les détails mais pour vous en dire le sens.
Et le sens du choix de cette adresse quel est-il ? C’est qu’en République comme ce soir, le dialogue et la libre délibération entre citoyens permettent à coup sûr de consolider la confiance et de faire avancer les sujets qui attendent une réponse, plus que les controverses et les polémiques qui justifient et figent le plus souvent et de façon commode les postures, empêchant chacun de se laisser déplacer en soi- même, de se mettre en question, empêchant finalement les réformes. Ah, les réformes ! La réforme, un mot tellement ancien et qui désigne parfois dans ce pays des décisions toujours repoussées dans le temps…
Le protestant n’est donc pas un râleur, au sens où il serait toujours en train de protester, mais il proteste de sa foi. C’est-à-dire qu’il en témoigne, donc, et ici, ce soir, il en témoigne précisément par ses engagements, par les responsabilités qu’il assume, par les métiers de l’entreprise dans lesquels il se déploie, afin de mieux comprendre ce qui advient et d’en anticiper les changements nécessaires dans les décisions et les pratiques qui mènent justement aux réformes utiles, au moment opportun.
Le protestantisme trouve sa place dans la République, et la République trouve dans le protestantisme une ressource, un encouragement, un aiguillon acéré et je l’espère aussi un souffle.
Le protestantisme tient donc sa place dans la société. Il est tout à fait conscient de sa minorité, certes, et il se présente en particulier, comme ici ce soir devant vous et avec bien d’autres dans ce pays, parmi ce que nous pourrions appeler les créateurs de richesses. Mais de quelles richesses parlons-nous ? De celle, sonnante et trébuchante que produit l’entreprise, certainement, mais aussi de celles liées à ce que l’on nomme l’économie et qui déborde largement le seul profit affiché dans un bilan, à savoir la réalité humaine et sociale de ce qu’est l’emploi, le métier, la richesse d’un parcours professionnel, l’opportunité de la formation permanente, la possibilité offerte des changements d’orientation, des évolutions de carrière, et par conséquent tout ce qui a trait à la place, au rôle et à la dignité de la personne dans l’entreprise et donc au sein de la société, à quelque niveau de responsabilité qu’elle se trouve. Toutes choses que Calvin résumait en une phrase, dans son commentaire de 1561 de l’évangile de Matthieu lorsqu’il écrivait ceci : « il n’y a pas état plus louable devant Dieu que ceux qui apportent quelque profit à la société commune des hommes », rappelant ainsi et le sens vertical de la vocation humaine « devant Dieu » de celui qui travaille et qui crée, et la dimension commune et solidaire de cette vocation qui renvoie au bien commun ou à l’intérêt général, loin de tout égoïsme ou de l’accumulation de richesses qui insulte à juste titre le grand nombre par son obscénité.
Par son rapport à la responsabilité entrepreneuriale et sociale qui lui est reconnue, le protestantisme est ainsi l’un des nombreux acteurs attachés à la construction de la société, à l’accompagnement de ses évolutions et de ses transformations, à sa croissance qualitative, à son adaptation aux mutations profondes qui en modifient bien des aspects, dans un monde globalisé, incertain et à bien des égards dangereux.
Et en même temps, il veut rester attentif aux détresses, aux injustices, aux dysfonctionnements, aux contradictions et aux souffrances liées à cette création de richesses, à ces transformations, à ces évolutions.
Ces quatre mots « et en même temps » que vous avez rendus si populaires ne forment pas ici une vaine expression. Ils disent la complexité des choses. Ils refusent les caricatures et les exclusives. Ils veulent tenir ensemble des choses bien distinctes, évidemment, mais qu’il faut savoir saisir d’un même acte d’intelligence, autrement dit qu’il faut comprendre.
La théologie des deux règnes temporel et spirituel si chère à Martin Luther et que Jean Calvin reprend à son compte assumait déjà ce « et en même temps » : pour ces Réformateurs, en effet, s’il ne faut pas confondre le spirituel et le temporel, écrivaient-ils, s’il ne faut pas confondre la loi de Dieu et la loi des hommes, s’il faut garder en société et dans les lois ce que je nomme cette indispensable distance de sécurité entre le religieux et le politique, un débat toujours actuel, il nous revient pourtant d’en comprendre les enjeux dans nos vies mêmes où ils sont tellement mêlés en vérité. Et par conséquent d’en vivre les réalités avec lucidité là même où nous sommes placés : dans la vie personnelle, familiale ou professionnelle, nous tenons les deux en les distinguant certes, mais en nous gardant bien d’en préférer l’un ou d’en humilier l’autre.
Nous sommes donc chrétiens et citoyens tout à la fois, protestants et enracinés dans le monde, priant mais aussi travaillant, mendiants de la grâce, mais aussi riches de nos professions et capables d’assumer nos responsabilités, hommes et femmes faits de chair, d’os et de transcendance mais pleinement inscrits dans une République laïque. L’originalité de la démocratie dans ce contexte se situe bien comme l’écrivait Paul Ricoeur : « dans les mesures prises pour gérer le politique autrement qu’en rapportant le politique à une onction religieuse ».
Et ce ne sera donc pas un hasard qu’ici, après la citation des noms de nos deux pères illustres dans la foi qui étaient professeurs d’Ecriture Sainte l’un à Wittenberg et l’autre à Genève, celle du nom de Charles Gide apparait, comme professeur au Collège de France à Paris et comme économiste. Cette figure nous rappelle qu’il est possible d’avoir une approche assumée de l’économie libérale et en même temps, de manifester une sorte de protestation croyante contre l’injustice qui lui est forcément liée, celle d’un capitalisme brutal ou celle d’un collectivisme violent. Et ce n’est pas non plus un hasard si sa définition même de la République associe l’adjectif de laïque à ceux de sociale et de coopérative, consonnant ainsi avec la compréhension d’un christianisme social qui concerne toutes les activités humaines et qui s’inscrit sans hésitation dans ce fameux cadre laïque. Faut-il parler ici d’éthique protestante, assumant ce fameux « et en même temps » moqué par les simplificateurs ou par les paresseux qui n’ont pas vraiment saisi la complexité des situations ? Je ne m’y risquerai pas, tant je sais que le monde de l’économie est un champ difficile et finalement assez peu propice pour que s’y vivent et s’y expérimentent sans peine les convictions croyantes et les principes. Qui plus est, le protestantisme n’a pas jugé bon, à juste titre, de s’imposer une doctrine sociale de l’Eglise mais a préféré laisser à chacun le soin, et plus que cela, la liberté personnelle de se tenir devant Dieu et devant les hommes, en toute responsabilité. Au fond, c’est bien ainsi. Car cette liberté est au principe même de la foi et chaque chef d’entreprise se trouve responsable de faire vivre les valeurs chrétiennes dans l’organisation du travail tout en respectant ses propres engagements éthiques et sociaux.
C’est ici que je voulais en venir, Monsieur le Président, à ce mot de liberté. A ce premier principe dont la République a fait sa devise, y ajoutant l’égalité et la fraternité.
Certes, la différence est grande entre la liberté acquise par la Révolution française, inscrite dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et la liberté offerte par la grâce de Dieu. La différence est grande entre la liberté acquise de longue lutte par le peuple français qui devient souverain en lieu et place d’un roi vaincu par une révolution, et la liberté reçue de Dieu, renonçant de lui-même à son pouvoir dans la déréliction pour qu’advienne l’homme libre en Jésus-Christ. Nous ne parlons donc pas de la même liberté. Toutefois, puisque nous sommes en République, et qu’elle l’a reconnue, notre liberté de conscience en Christ restera imprenable. Et avec elle, la liberté de culte, la liberté d’entreprendre, la liberté de travailler, d’être élu. J’avais noté un jour que ce 24 décembre 1789, les bourreaux, les comédiens, les protestants et les juifs avaient été admis après délibération de l’Assemblée, à l’éligibilité et au service public. Voilà, nous y sommes : cette liberté nous autorise et elle nous oblige, en quelque sorte, à vivre responsables et solidaires, la liberté de notre conscience est celle que la République fonde pour chacun et qu’elle se doit de protéger, car cette liberté est au principe de notre vivre ensemble. Elle n’est pas la liberté de soi seulement, telle un gri- gri de l’autonomie ou de l’égoïsme post-moderne, mais la liberté de soi devant, avec et pour les autres, et devant Dieu.
Je ne veux pas ici faire la liste de nos manquements en terme de liberté, ni de ceux de la République. Il ne s’agira pas non plus d’évoquer telle ou telle loi qui la mettrait en péril, je me suis largement expliqué à ce sujet, et d’ailleurs, vous le savez, les idées de séparatisme, à ce jour, sont portées par des discours de haine et de repli tout autant dans le monde du radicalisme religieux, que celui d’un laïcisme étriqué sans référent philosophique sérieux qui stigmatise ceux qui croient, que ceux tout aussi mortifères dans le monde et ceux des extrêmes en politique.
En revanche, puisque mon souvenir évoquait avec reconnaissance la décision démocratique en faveur des oubliés de l’époque, à savoir juifs, comédiens et protestants, c’est aujourd’hui aux gens du voyage, aux tziganes qui sont pour une bonne part les nôtres à la Fédération protestante de France, à travers la Mission évangélique tzigane Vie et Lumière, que je veux faire référence et à leur détresse qu’on me rapporte à leur sujet : une détresse qui ne ressortit plus désormais à des questions d’ordre public mais plus simplement et plus dramatiquement à un sentiment d’humiliation, de stigmatisation, et de non reconnaissance par les autorités dans leur propre pays dont ils ne veulent justement pas se séparer. Il s’agit là de questions de liberté et de citoyenneté qui ne sont pas réglées, semble-t-il, au niveau où elles devraient l’être. Je serais heureux de voir enfin des initiatives larges et concertées pour comprendre et traiter ces personnes et ce qu’elles représentent en même temps dans leur spécificité et dans leur pleine citoyenneté, non par des appels à les mettre à l’amende.
En vérité, cette question de liberté renvoie, vous le comprenez immédiatement, à la question de l’égalité qui place, qui devrait placer, devrais-je dire, chacune et chacun de nous à équidistance du droit et de la loi : et ce sera mon second point.
Ici, l’égalité entre hommes et femmes reste un sérieux défi pour notre République et pour nous- mêmes dans le protestantisme où nos Eglises avancent, à petit pas mais fidèlement, pour certaines d’entre elles, quand d’autres tardent vraiment, et s’enferment dans des postures, de même que dans la société de manière générale où ces choses évoluent sous la contrainte consentie de la loi sur la parité, mais toujours à mettre en œuvre dans la mesure du possible, comme l’on dit quand on renâcle et qu’on résiste. L’égalité, à cet égard, n’est pas un acquis mais demeure une visée, dont la réalité liée au salaire, en particulier, reste incroyablement éloignée dans notre pays de ce que la loi pourtant énonce et enjoint depuis les années 70. Une visée tout aussi impérative dans les conseils d’Eglise -à cet égard les Eglises protestantes ont peu ou prou compris que la place des femmes est une bénédiction et un atout et il n’échappera donc à personne que d’autres Eglises et communautés religieuses se devront désormais de se réformer à ce sujet- une visée aussi dans les conseils d’administration, dans les postes de direction et dans les assemblées politiques.
De même enfin, et au-delà des questions relatives à l’égalité homme-femme, la question toujours brûlante de la discrimination des personnes issues de l’immigration, à l’embauche, à l’habitat, la discrimination des homosexuels et les violences à leur égard comme celle trop insupportable à l’égard des femmes, le racisme et l’antisémitisme qui perdurent, de sorte que rien ne nous est épargné sur ce thème et que rien ne nous permet d’être satisfaits ou en pause de mobilisation et de réflexion.
Il nous faut avancer encore, et ensemble, j’y insiste, pour que la société se réforme et se révèle à elle- même un champ des possibles de fraternité et de réconciliation. La fraternité, enfin, cette compagnie non pas choisie mais comme imposée par la vie, qui fait vivre ensemble des frères et des sœurs destinés à partager sans qu’ils l’aient décidé, la même histoire et le même espace, pourrait à la différence de la liberté et de l’égalité ne pas se traduire en règles et ou en lois. Elle pourrait se vivre naturellement, comme dans une famille, se vivre et s’apprendre d’évidence au jour le jour. Elle pourrait ressortir à une sorte de vivre-ensemble pragmatique, convenu et admis de façon tacite. Mais il n’en va pas ainsi. La fraternité exige elle aussi une attention renouvelée et un soin particulier de la part de la République. Dans une société multiculturelle comme la nôtre où les mutations en cours dépaysent chacun et dérangent les habitudes que l’on croyait définitives, l’archipélisation des Eglises et pas seulement de la nation, la marqueterie pluriconfessionnelle qui caractérise notre paysage religieux, dessinent une France différente de celle toute unie que nos imaginaires moyenâgeux veulent parfois à tout prix conserver. Certains, en effet, colportent des mythes, comme si la France était née au baptême de Clovis, et d’autres comme si elle était encore fille ainée de l’Eglise, d’autres enfin comme si elle était enfin sécularisée et devenue incroyante, enfin débarrassée de toute aliénation religieuse. L’identité plurielle de ce pays l’oblige pourtant à assumer sa vocation irréfragable à l’accueil des différences, à l’hospitalité, à la curiosité et à l’interpellation mutuelle entre frères et sœurs. C’est qu’il y a ici des croyants et des incroyants, des religions enracinées depuis longtemps et des religions venues d’ailleurs. Et l’enjeu de cette complexité est bien celui de l’accueil vigilant et fraternel.
Mais alors, quand l’hospitalité si fondatrice de la civilisation est niée et même contrebattue par des discours de haine, elle se transforme, grimaçante, en hostilité, d’un mot dont l’étymologie des deux termes est terriblement la même.
Le protestantisme sait ce qu’hospitalité veut dire, lui qui a été accueilli dans l’exil, autrefois et qui ne l’a pas oublié. Aujourd’hui cette valeur biblique de l’hospitalité l’oblige à rappeler l’exigence de l’accueil et du droit d’asile qui concerne d’autres que lui-même, des familles perdues et fracassées dans les conflits des hommes : la Syrie, et maintenant l’Afghanistan, sans parler de tant d’autres, sans même citer la jungle de Calais dont l’expression résonne comme un signe d’alerte. Des collectifs citoyens sont prêts, Monsieur le Président, et point n’est besoin d’attendre pour les mettre au travail. Ils sont laïcs, protestants, catholiques et même œcuméniques. Le protocole que nous venons de renouveler, si humble et si symbolique, au sujet de l’accueil de réfugiés syriens et irakiens, désigne évidemment de loin et de façon bien insuffisante ce qu’un grand pays comme le nôtre pourrait pourtant mettre en œuvre avec lucidité et générosité avec plus d’ambition, au sujet des afghans, notamment et de tant d’autres.
La fraternité enfin, est aussi interreligieuse : elle fait signe et elle désigne ce que la laïcité permet et même encourage : non pas le repli communautaire, tout le contraire, non pas l’ostracisme un peu jaloux de ceux qui ne croient en rien et qui s’en glorifient comme si ne rien croire était merveilleux !
Et que permet et encourage cette fraternité ? Disons-le nettement : elle permet et encourage le dialogue des personnes, des communautés, des citoyens de confessions différentes, le dialogue exigeant des transcendances, le partage des actions solidaires, la recherche intellectuelle et surtout, surtout, l’expression claire et nette d’une conviction commune : celle qui affirme qu’une société dont la culture humilie tel ou tel culte se prépare à des lendemains barbares. La laïcité et son corollaire en France de la séparation des Eglises et de l’Etat ne signifient donc pas l’absence de relations entre les religions et l’Etat. Autrement dit une laïcité décontractée, que l’on pourrait nommer avec Régis Debray, une laïcité d’intelligence, doit permettre aux autorités de l’Etat de faire en sorte que le religieux ne soit pas placé sous le signe du soupçon ou de la méfiance. Et pourquoi donc ?
Par ce que le culte en effet est exactement cet espace cultivé et préservé où se prépare l’accueil de l’autre différent, l’autre avec un petit a ou avec un grand A, un lieu réservé où sa place est et reste marquée, où il est inlassablement attendu. Le culte est ce lieu et ce temps mis à part qui précisément indiquent que tout l’espace de la société n’est pas saturé par le politique, et où l’assemblée des croyants peut se tenir sans dommage ni crainte, et où chacun peut faire halte et désaltérer son âme sans risque d’être inquiété comme dans une oasis.
Judaïsme et christianisme ont cheminé dans cette société et y ont trouvé leur place. Ils ont ainsi peu à peu offert à leur tour une place à ceux qu’ils accueillaient. L’islam de même est en train d’y parvenir. De grâce, que des discours pauvres d’esprit même s’ils sont bien tournés et relayés étonnamment par des chaines qui prennent en ces jours de lourdes responsabilités sans aucune vergogne, ne compromettent pas son cheminement et ses efforts si difficiles. Et que les autorités accompagnent ces efforts, avec lucidité, certes, avec la distance critique requise, mais aussi avec confiance.
C’est donc après la liberté, l’égalité et la fraternité, sur ce thème de la spiritualité que je voudrais terminer mon adresse.
C’est sur ce thème du souffle que je veux conclure en forme d’ouverture, autrement dit sur l’idée d’une spiritualité qui donne souffle à la République qui en manque parfois, un souffle comme une brise légère qui invite chacun à respirer profondément alors qu’on pourrait suffoquer ou qu’on redoute d’être ballotté ou même balayé au gré des vents de doctrines haineuses.
La spiritualité a toute sa place dans une République laïque, elle est cette capacité à souffler, à respirer et par conséquent à inspirer nos vies et à imaginer demain, elle est cet appel à se tenir debout en soi-même quand bien même l’air viendrait à devenir irrespirable. Et l’air devient irrespirable quand tout semble fermé, quand l’air du large fait défaut, quand plus aucun récit n’inspire quiconque sinon les histoires d’autrefois que certains nous ressassent, revisitées par le ressentiment et le dégoût de demain.
La République risque alors à son tour de manquer de souffle si personne en haut lieu ne prend le soin de proclamer un récit qui au contraire mène au large, si personne ne fait voir loin et devant, si on laisse à certains toute la place pour nous raconter des histoires et réinventer un passé au lieu de désigner un destin.
Dans ce moment incertain, les protestants tout seuls ne peuvent donc pas grand-chose devant de tels périls. Ils peuvent alerter comme une vigie alerte, ils peuvent se mobiliser comme ils le sont si souvent et si vite, ils peuvent souffler sur les braises d’une fraternité réconciliée pour lancer des contre-feux face aux discours incendiaires et aux propos qui incitent à la haine. Ils sont peu nombreux, avec leur différence utile et qui agace, celle d’une foi qui les faits indociles mais convaincus, présents, acteurs et solidaires. Citoyens de ce pays et citoyens, déjà d’un royaume qui vient, ils sont appelés, comme dit l’apôtre à être de beaux gestionnaires, de beaux administrateurs, de bons économes des grâces de Dieu, contributeurs aux côtés d’autres, au plan culturel et intellectuel.
Pour finir, je voudrais saluer devant vous tous ces chefs d’entreprise, ces financiers qui prennent des risques, ces responsables de haut niveau. Et en contrepoint, saluer celles et ceux qui ont œuvré dans le sens que j’ai décrit au long de cette adresse au croisement de ces questions économiques, politiques, sociales et éthiques. Ils sont six dans leur diversité non pas sept car nous aurions alors un chiffre parfait, trois hommes et trois femmes : Esther Duflo, prix Nobel d’économie 2019, Nicolas Cadène, Rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité, Elsa Bouneau Directrice de la Fondation du Protestantisme, Yvan Carluer, Pasteur évangélique de l’Eglise Martin Luther King à Créteil, Martin Kopp, Président de la Commission Ecologie et justice climatique de la FPF, et le docteur Irène Frachon qui est à notre table d’honneur ce soir. Allez, j’ajoute la septième, soyons parfaits, Valentine Zuber, historienne, qui nous aide avec tant d’autres, historiens et sociologues du protestantisme, à comprendre le monde.
De même, et je les remercie de leur présence, Mohammed Moussaoui du CFCM, Haïm Korsia, Grand Rabbin de France et le représentant de Monseigneur de Moulins-Beaufort, excusé à cette soirée.
Enfin, je veux saluer chacune et chacun d’entre vous, chers amis, entrepreneurs et responsables, très généreux donateurs et acteurs de la solidarité, pour vous dire ma reconnaissance d’être par votre présence même le visage d’un protestantisme engagé, responsable et solidaire dans la cité et dans le monde. Au nom du protestantisme français, je vous adresse, Monsieur le Président de la République, un message pour demain avec ces mots du prophète Jérémie : « Je veux vous donner un avenir à espérer », un verset de la Fédération protestante de France, choisi pour cette année, choisi pour nous tous, un verset qui nous vient du fond des âges, qui rejoint notre présent, qui le nourrit et qui le ressuscite.
Je vous remercie.
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- Adresse du Pasteur François Clavairoly au Président de la République_Dîner Cercle Charles Gide_26 octobre 2021.pdf